Suburbia, Une utopie libérale
Suburbia est un terme que les Anglo-Saxons utilisent depuis longtemps pour désigner l’urbanisation périphérique des grandes villes. À l’opposé des agglomérations séculaires, la suburbia recouvre une tout autre forme de ville, faite de contraires, qui unifie campagne et centres denses, dispersion et congestion et où, pendant le siècle et demi passé, ont été inventées les nouvelles formes urbaines. Mégastructure, zone piétonne, impasse résidentielle, enclave, dalle urbaine, superblock, centre multifonctionnel, village urbain y sont nés.
Parcourir les cent cinquante dernières années démontre qu’il ne s’agit pas d’un événement subi, imprévu, voire catastrophique, improprement baptisé « étalement urbain ». Cette formule, trop géographique, cache l’action d’une utopie – d’inspiration libérale – obstinément entretenue au long des aléas de l’histoire urbaine du capitalisme : l’avènement d’une « démocratie de propriétaires ». Imaginée à la fin du XVIIe siècle par John Locke et ses suiveurs, elle s’est peu à peu réalisée à travers la colonisation des campagnes par les citadins, au cours de laquelle se sont inventées les formes urbaines de la dispersion. Ce faisant, ces formes ont changé, ainsi que les relations des citadins à leur espace public.
En construisant des infrastructures de transport rapides et en favorisant l’accession à la propriété des citadins, l’acteur décisif de cette conquête fut l’État-providence. Si ce dernier est actuellement en crise, cela résulte notamment du succès de la suburbanisation, car la démocratisation de l’accès au patrimoine immobilier a développé une société civile de citoyens-propriétaires bien organisée, plus adepte de l’entre-soi, donc moins désireuse des protections et solidarités assurées par la puissance publique.