Rencontre avec Yassin al-Haj Saleh pour "Sur la liberté : la maison, la prison, l'exil... et le monde" [L'Arachnéen] en présence de Catherine Coquio
Yassin al-Haj Saleh (né en 1961 à Racca) est un écrivain et essayiste syrien, l’un des principaux intellectuels opposants au régime des Assad. Il a passé seize ans en détention sous Hafez al-Hassad. En juillet 2013, il a quitté la Syrie pour Istanbul, puis pour Berlin où il vit actuellement en exil. Le 9 décembre 2013, son épouse Samira al-Khalil a été enlevée dans la zone insurgée de Douma, avec la jeune avocate Razan Zaitouneh, son mari Wael Hamadeh, et Nazem Hammadi, tous militants des droits de l’homme. Elles et ils n’ont pas réapparu depuis. Yassin al-Haj Saleh est l’un des membres fondateurs de la revue syrienne Al-Jumhuriya ; il a publié de très nombreux articles et une dizaine de livres, parmi lesquels trois ont paru en français : Récits d’une Syrie oubliée. Sortir la mémoire des prisons, aux Prairies ordinaires en 2015 (désormais disponible en version numérique à L’Arachnéen), La Question syrienne, chez Actes Sud en 2016, et Lettres à Samira, aux éditions des Lisières en 2021.
Sur la liberté : la maison, la prison, l’exil… et le monde se compose de trois textes et d’un long entretien. L’ensemble est préfacé par Catherine Coquio.
Les trois textes (2017 et 2021) ont pour thème central les dimensions relatives de la liberté, analysée par Yassin al-Haj Saleh au prisme du « moi », de la « maison », de la prison (l’auteur parle de « prison consentie », gage d’une certaine forme de liberté), de l’exil, et des formes multiples de « l’illiberté » : « la liberté dont jouit le monde de l’exception au-dessus de la loi, écrit-il, est intrinsèquement liée à l’illiberté que subit le monde de l’exception en-dessous de la loi. » Comme l’écrit Catherine Coquio dans sa préface, ces textes « forment un plaidoyer pour la liberté comme acte, mouvement, processus d’affranchissement ou de transformation, puissance de changement ou de sortie qui se décline en postures ou démarches à la fois créatives et destructives : rébellion, transgression, sacrifice, arrogance, respect, vagabondage, exploration… […] Yassin al-Haj Saleh propose des réajustements de la pensée et des redéfinitions de la philosophie, et désigne des domaines contemporains d’infra-liberté (survie) et de supra-liberté (vie souveraine) entre lesquels la liberté existe bien, mais « en état de siège ».
Dans l’entretien qui suit (2021-2022), Yassin al-Haj Saleh répond aux questions de Catherine Coquio et Nisrine al-Zahre. Avec, en arrière-plan constant de sa réflexion, « l’hermétique absence de Samira » et la dévastation de son pays par la guerre et la dictature des Assad, il aborde des questions diverses : l’apparition en Syrie d’une nouvelle écriture, masculine et féminine (il parle d’« écriture peuplée »), directement issue de l’expérience de la guerre et de la prison et comparable à la « littérature de témoignage » liée à la Shoah ; son espoir dans l’avènement d’une communauté qui donne du sens à la souffrance (il relève l’origine commune, en arabe, de ces deux mots) ; la nécessité de combattre le nihilisme du pouvoir dictatorial comme celui des islamistes ; l’analogie de l’organisation de la révolution syrienne avec celle de la Commune ou avec le modèle « conseilliste » ; sa lecture critique d’Hannah Arendt ou de Giorgio Agamben ; l’impératif d’écrire une « tragédie de l’oubli », etc.
Après avoir décrit le milieu des réfugiés politiques syriens dans lequel elle a rencontré Yassin al-Haj Saleh, Catherine Coquio analyse en détails le rôle de son expérience carcérale dans son « marxisme anti-stalinien », et celui de la disparition de Samira al-Khalil dans sa lutte contre les processus d’absentéisation imposés par les régimes de terreur. Elle évoque notamment l’un de ses ouvrages (inédit en français), Le Livre de l’atroce, qui relève comme l’ensemble de ses essais, dit-elle, du témoignage, et de la « vie insurmontable » qui anime la pensée de Yassin al-Haj Saleh.