Rayon Photographies
A : New York 1989-93

Fiche technique

Format : Blister
Nb de pages : 68 pages
Poids : 282 g
Dimensions : 14cm X 18cm
ISBN : 979-10-92265-51-4
EAN : 9791092265514

A

New York 1989-93


Paru le
Blister 68 pages
textes Antoine d'Agata, Christine Delory-Momberger
Tout public

Quatrième de couverture

A

New York 1989-1993

Ce livret est le premier d'une série de douze qui nous ouvre l'espace des traversées de A, de son parcours physique à travers ses errances, ses dérives, ses avancées tendues, ses rencontres. Ils paraîtront au fil des cinq prochaines années, dans une rythmicité soutenue. La forme, si elle peut surprendre d'abord, file le redéploiement de cette route, entamée un jour et qui ne semble avoir de fin. Il faut imaginer ce livret, apparenté au leporello, se déployant dans un jeté d'images, présence soufflée, déroulé de situations, suspensions temporelles. Il ne s'agit pas d'une chronologie, même si les images se regroupent dans des plans séquentiels, ici New York 1989-1993 : c'est à chaque fois une ambiance, une atmosphère, un climat qui sont donnés dans un brassage d'images, un mélange confrontant qui crée des tensions, décharge une force et qui appelle à entrer dans l'énergie et le désir de vie qui en émanent.

Antoine d'Agata veut que ces dépliés d'images « prennent le mur », qu'ils ne restent pas rangés dans un rayonnage, qu'ils sortent d une forme attendue et qu'ils s'exposent dans leur entièreté, accrochés là. Au mur, l'ensemble des livrets formera un bloc de trois mètres vingt-quatre sur deux mètres seize se constituant à mesure de la publication, chaque livret déplié venant se placer l'un en dessous de l'autre.

Mais on peut imaginer aussi mettre bout à bout ces dépliés, il y en a douze comprenant chacun vingt-quatre images, et le parcours de A s'affiche sur un peu plus de trente-huit mètres. Ce long défilé se calque sur la route qui est la sienne et scande l'existence du personnage dans ses réalités, ses mondes, ses états, il le donne à voir dans une continuité brute, authentique qui nous le rend tangible.

Mais qui est A ? Un « double hypothétique » entré à un moment dans la vie d'Antoine, un personnage virtuel d'une fiction performée et assumée qui lui permet d'aller là où il n'irait pas lui-même. Et qu'en est-il d'Antoine, attaché à la vie de A qu'il a construite, dit-il, comme un scénario qu'il s'applique à vivre dans la seule fin d'accumuler les preuves photographiques de son existence. La fonction de A est d'agir, il lui force la main, il le pousse à aller plus loin qu'il ne le ferait seul. Existences couplées, où l'un pousse l'autre qui dicte, prescrit des protocoles d'action qui sont aussitôt déconstruits, « pervertis » (dixit Antoine d'Agata), où l'un vit dans un accomplissement de l'autre, où l'un ne peut exister sans la virtualité de l'autre. Gémellité contrainte, nécessaire, qui se joue et se rejoue dans la suite, l'enchevêtrement, le désordre, l'accumulation d'expériences extrêmes, provoquées, vécues.

A qui est sur les photographies ? Antoine sous les traits floutés de A ? La fiction de A rejoint-elle la réalité d'Antoine ? Ou la tangibilité de A permet-elle l'apesanteur d'Antoine ? Les deux figures se confondent-elles ou ne sont-elles une que pour mieux être double ? Pour doubler le regardeur, lui enlever des certitudes, le faire dériver un peu, beaucoup, l'inviter à suivre l'histoire autrement, à regarder, à voir.

Journal intime d'Antoine, journal prescrit de son avatar ? Le fait de devoir construire des scénarios pour A, structurer des scènes, imaginer des ambiances, anticiper des dialogues, a fait glisser la pratique photographique du journal intime d'Antoine d'Agata à l'invention du « journal prémédité ». À la question que je lui posais en 2005 concernant le paradoxe que pouvait représenter le fuit de dire qu'il concevait son travail photographique comme un journal intime, il répondait : « C'est simple : je tiens un journal des événements de ma vie en même temps que je les photographie. » C'est simple, en effet. La photographie se saisit de ce qu'elle a devant elle, composant ainsi le journal d'un immédiat présent. Cette position s'écarte du principe même du journal scripturaire qui s'élabore dans un après-coup, aussi rapproché soit-il. Retour sur soi à travers du vécu, du pensé, de l'imaginé. Le journal photographique d'Antoine d'Agata n'est pas documentaire, il ne représente pas, ne commente pas, ne témoigne pas. C'est un acte photographique au sens fort, produit dans le lien avec l'instant, chacune des images est le vif d'une expérience, d'un corps à corps, dans une situation donnée, avec ce versant du monde où Antoine, dès qu'il le peut, vit.

A reste le protagoniste des scénarios qu'Antoine d'Agata désigne comme étant plus émotionnels que narratifs et que A va devoir s'appliquer à vivre au fil de ses rencontres avec d'autres personnages arrivant sur sa route. Mais, bien sûr, le hasard des situations viendra gauchir la fiction en la mettant à l'épreuve du réel. On pourrait dire finalement que le journal prémédité est un « journal à rebours ». Au lieu de faire un « retour sur », il fait une « anticipation de », et pour cela, il faut puiser dans des expériences antérieures, les analyser, en extraire l'essentiel pour aller plus loin, pour imaginer d'autres expériences, en gardant dans le vif de soi ses marquages esthétiques et politiques. En cela, le personnage A est central. Personnage d'une fiction qu'il faut aussi sans cesse réinventer pour qu'Antoine puisse continuer son entreprise, et qui instaure ainsi, comme il le dit, « un rapport impur qu'affirme, en dernier lieu, cette relation de l'auteur et de son personnage qui répondent l'un de l'autre ».

Manifeste politique, ces livrets le sont. Que voit-on dans ce premier d'entre eux ? Des visages, des documents attestant d'une identité, des pages écrites à la main avec des mots barrés de noir, petits bandeaux écartant l'intime de l'exposition publique, un bateau d'un autre temps qui dit l'émigration familiale, une page de la « Lettre à A », un visage encore, cette fois flouté, comme double, et des silhouettes que l'on reconnaît comme étant le même personnage qui s'avance, tendu, dans un balancé de funambule vers un lointain. A déjà là ? Des petites images, serties d'un bord noir, enfermant des traces de sols foulés par A ? Ou des poussières d'étoiles d'un ciel qui n'en finit pas d'être au-dessus de lui ? Un bras noué de veines gonflées. Et puis dix-huit photographies d'un visage à travers les âges, juste avant le vortex qui ne clôt pas l'étape mais qui annonce, fait le passage vers la suite de la route. Ces images et ces documents ne font pas une biographie, ils marquent des temps, les assemblent, chacun pourra les déplacer dans son regard, reprendre cet enchaînement selon sa perception, sa sensibilité et sa volonté du moment, comme Antoine l'a fait lors de leur mise ensemble. Car ces livrets sont mobiles, dans l'espace par leur déplié, dans leur accrochage qui peut bouger à l'envi dans l'espace et dans le regard. Une chance que l'on a chacun d'entrer avec sa relation à soi avec ce monde de vie déployé pour nous. L'idée est bien que la vie est au-devant de l'art, elle l'innerve de ses expériences, de ses ressentis, de ses positions, elle se doit de ne pas se figer dans un convenu, un confort de pensée, une inertie du renoncement. Les dérives de A sont des armes de révolte et de subversion, ses traversées des prises d'espace, marquages éphémères d'univers qu'il reconquiert et qu'il laisse ensuite derrière lui car il n'est pas question de posséder quoi que ce soit. Invention d'un personnage qui fait oeuvre, brèche ouverte à un art relié à la vie, A est un appel, un remuement d'existence, une confrontation au vide d'une esthétique brûlée par la logique marchande, d'un art séparé du désir du monde.

New York 1989-1993. Situation 1. Premiers tracés d'une existence qui s'engage dans un exister et qui s'y tient, à tout prix parce qu'« il n'y a pas d'autre issue que la vie même », dit Antoine. Mise en images d'une position qui ne fera que se préciser au fil des douze livrets. Alors suivre, faire route avec A et se dessiller les yeux.

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