Larves et libellules

J'avais six ans. C'était à Beaulac, chez mon grand-père maternel, à Sainte Germaine, sa maison de retraite bâtie au bord du Ciron. Une de mes premières images d'enfant, c'est la déclaration de la guerre, le tocsin à l'église, les femmes qui pleurent, ma grand-mère et les autres. Nous, les enfants, comme des fous, nous jouons dans le foin, sans comprendre. Voilà qu'une gifle magistrale me fut appliquée, sans doute pour m'associer plus étroitement au chagrin collectif, je ne sais plus par qui. En tout cas, de cette première gifle (ce ne fut pas la dernière, hélas), je m'en souviens fort bien. C'était la guerre.

Il faut que vous le sachiez, le récit qui précède a été rédigé pour me concilier les bonnes grâces de Martine, ma kinésithérapeute. Celle-ci a été chargée de ma rééducation à la suite d'un accident qui m'a laissé sur le dos pendant plusieurs mois.

Mais commençons par le commencement. À l'époque, j'étais petit garçon à Beaulac-Bernos en Gironde, à soixante kilomètres de Bordeaux, sur la route de Pau. Ce petit village se situe à la confluence du plateau bazadais et de l'immense plaine des Landes séparés par le Ciron, mystérieuse petite rivière aux eaux toujours glaciales. On y voyait, prétendait-on, la chaîne des Pyrénées, par grand beau temps. Encore une légende. Je ne l'ai jamais vue, pas plus que le "rayon vert" de Jules Vernes.

Ma vie se partageait entre Tierrouge, la papeterie créée par mon grand-père maternel au coeur de la forêt landaise, et l'Aubarède, l'orgueilleuse bâtisse érigée sur la colline par mon arrière-grand-père paternel en 1828. Il y avait enfin Sainte Germaine, le modeste chalet aux bords du Ciron où mon grand-père Michel Laporte, fondateur de la papeterie du lieu, avait pris sa retraite pour y passer le reste de ses jours.

Puis, avec les temps de guerre, vint Uzeste, à quelques kilomètres de là, où se trouve le tombeau du pape Clément V. C'est là que se déroula la majeure partie de la saga des enfants Laulan, dans une modeste métairie retapée, au milieu des bois de pins. C'étaient les années de guerre, de privation, riches de souvenirs divertissants souvent, parfois poignants.