Le rêve prémonitoire de Flore

Au Jardin de pierres ***

Le Rêve prémonitoire de Flore

« Une dizaine de jours s'étaient écoulés quand Flore reçut la visite d'un militaire du même régiment que Dimitri. Il allait se présenter, mais elle lui coupa la parole :

- Inutile, cher monsieur, je vous connais. Je vous ai vu l'autre nuit sur le champ de bataille, aux côtés de mon époux.

Surpris, l'homme mit cela sur le compte de l'émotion. Il ne prêta cependant pas attention aux propos de son interlocutrice et poursuivit son explication.

Pour la deuxième fois, Flore interrompit le récit de ce bel officier :

- Il se trouvait au milieu d'un immense terrain. Non loin de lui, un obus de forte puissance est tombé. Son explosion a creusé un immense cratère au sol. La violence de la déflagration a soufflé les soldats à proximité, les a projetés en l'air. Ils sont retombés et ont été ensevelis sous une montagne de gravas.

Dimitri était parmi eux... Certains se dégageaient en rampant comme des vers de terre. Les autres étaient morts ou grièvement blessés. Ceux qui parvenaient à se libérer se précipitaient dans la nuit pour fuir ce lieu. Leurs visages étaient méconnaissables, ils étaient noirs comme du charbon. Un rideau de poussière et de fumée obstruait la visibilité. Dans ce paysage opaque, un groupe d'hommes s'est alors enchevêtré sur une longue barrière de fils barbelés. Faits comme des rats et prisonniers de ce carcan épineux, il leur était impossible de s'en sortir. En face d'eux, une salve de tirs a pétaradé. On les a mitraillés à bout portant, sans crier gare. Dimitri a été touché... »

Retrouvons dans ce troisième et dernier volume les personnages que nous avons accompagnés dans les tomes précédents du Jardin de pierres. La guerre est là, dévastatrice, indifférente aux larmes et aux traces qu'elle laissera dans les coeurs et la vie de chacun. Sur le front ou resté au pays, il faut faire avec et projeter son esprit dans l'espérance d'un futur meilleur. Rien n'est jamais acquis ; c'est l'un des enseignements à tirer de l'Histoire qui nous porte et que les grands eux-mêmes ne maîtrisent pas. Ce passé familial, mémoire qui nous forge et fait inconsciemment partie de l'être que nous devenons, Jeamie Audger a su l'entendre, l'écouter, et nous la rapporter avec la sensibilité et la poésie qui est la sienne. Suivons-la encore dans son récit, son hommage rendu aux siens.