Par solon le 21/04/2020
Une belle galerie de portraits et, en creux, un appel au renouveau!
Comme l’indique Michel Winock dès la préface de l’ouvrage collectif placé sous sa direction, Les figures de proue de la gauche depuis 1789, les termes de gauche et de droite, dans leurs sens politique, datent de l’automne 1789, lorsque l’Assemblée constituante issue des états généraux, a vu s’affronter les partisans du véto royal, placés à droite du président, et ses adversaires, placés à sa gauche.
Si l’origine de la distinction se trouve dans la Révolution française, par la suite, la notion de gauche s’est diversifiée si bien que dans un très stimulant article publié en 2005, le même Michel Winock avait défini, en contrepoint de la célèbre classification des « trois familles de la droite », élaborée par René Rémond, les « quatre familles de la gauche » ayant survécu jusqu’à nos jours : la gauche républicaine, la gauche socialiste, la gauche communiste et l’ultragauche.
Cette classification a pour effet d’assigner une famille particulière de la gauche à chacune des révolutions que le France a connues. C’est ainsi que la révolution française a donné naissance à la gauche républicaine, la révolution industrielle - à la gauche socialiste et la révolution bolchevique - à la gauche communiste, tandis que la quatrième famille - l’ultragauche, elle aussi issue, mais en partie seulement, de la révolution bolchevique, constitue « une gauche critique de la gauche et qui est parfois à l’origine des trois autres ». Bien entendu, Michel Winock n’ignore pas que si cette quadrilogie chronologique aide à clarifier la multiplicité de la gauche, elle n’en épuise pas la complexité tant les ramifications en sont multiples et les moments d’unité rares (1899, 1936, 1972 et 1997).
L’ouvrage poursuit ce travail d’exploration sous un angle inédit en ce qu’il retrace l’histoire de la gauche non à partir des idées mais à partir de la singularité des parcours de ses individualités marquantes, que ce soit des hommes ou des femmes politiques (Robespierre, Olympe de Gouges, Léon Gambetta, Jules Ferry, Jean Jaurès, Léon Blum, Pierre Mendès-France, Michel Rocard…) ou des écrivains (notamment Victor Hugo, George Sand, Albert Camus, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir).
Comme Michel Winock le note, l’entreprise ne manque pas d’être paradoxale en ce qu’elle prétend retracer les évolutions de la gauche à partir d’individualités alors que celle-ci se veut traditionnellement rétive à des incarnations trop marquées. Cela étant, il faut bien admettre que l’éclat de la gauche tient aussi à l’empreinte de personnalités d’exception qui ont su l’incarner fortement à un moment donné et être le vecteur d’un rassemblement des différentes familles pour exercer le pouvoir, que l’on songe à Léon Blum en 1936 ou François Mitterrand en 1981.
Le lecteur sera sans doute intéressé par la première figure historique choisie par les auteurs pour être le « père de la gauche » : il s’agit de Condorcet dont le portrait est brossé par Mona Ozouf. Ce choix peut apparaître surprenant tant d’autres candidats auraient pu apparaître plus naturels (tels notamment que Robespierre), mais Mona Ozouf explique que l’auteur de l’Esquisse d’un tableau de l’esprit humain, qui fut tout à la fois un héritier des Lumières et un défenseur du progrès et de la liberté, a trouvé une postérité tant chez les thermidoriens que chez une personnalité perçue comme libérale aujourd’hui, comme Benjamin Constant, ou encore chez les promoteurs d’une politique scientifique tels Saint-Simon ou Auguste Comte mais aussi à travers la figure de Jules Ferry au moment de la mise en place de l’école républicaine.
A l’instar de Condorcet, l’ensemble des personnalités dont le portrait est réuni dans cet ouvrage partage ainsi la même croyance dans les droits de l’homme, la justice et la laïcité et regardent vers l’avenir.
Toutefois, d’une part, on ne rencontrera que peu de femmes dans cet ouvrage – c’est sans doute parce que les femmes ne sont, somme toute, devenues des citoyennes à part entière qu’après-guerre. D’autre part, on peut regretter la relative sous-représentation de la gauche communiste et de la première gauche dont on sait pourtant le rôle qu’elles ont joué dans l’ascension de François Mitterrand. Enfin, une seule personnalité est encore vivante - Arlette Laguiller - mais elle n’est plus active sur la scène politique. Ce dernier aspect de cette galerie de portraits est sans doute le signe de ce que la gauche manque aujourd’hui de « figures de proue », comme en témoigne le résultat en France des dernières élections européennes du 26 mai dernier , au cours desquelles le Rassemblement national (RN) est arrivé en première position avec 23,31 % des voix devant la liste de La République en marche (LaREM) qui a obtenu 22,41 % des suffrages alors que la gauche, qui est allée en ordre dispersé au scrutin, a obtenu dans l’ensemble des résultats satisfaisants mais des résultats individuels décevants (La France insoumise (LFI, 6,31 %) et le Parti socialiste-Place publique (PS-PP, 6,19 %) à l’exception d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV, 13,47 %) .
Il faut dire que si on assume, avec Michel Winock, que chaque révolution donne naissance à une gauche particulière, il y a lieu de constater que l’actuelle révolution industrielle n’a pas encore fait éclore la gauche qu’elle mérite : les partis de gauche dans leur structure comme dans leur idéologie restent tributaires des révolutions industrielles des XIX° et XX° siècles. En ce sens, cet ouvrage d’histoire est aussi, en creux, un appel à l’émergence de figures de proue contemporaines de la gauche et mais aussi plus largement d’une idéologie politique qui actualise les idéaux de cette famille de pensée à notre temps. A cet égard, il y a sans doute urgence pour la gauche à réinvestir la question de l'organisation du travail comme une question éminemment politique.