Par solon le 21/04/2020
Un homme averti en vaut deux dit-on...
Dans les époques d’incertitude comme la nôtre, où un vieux monde semble mourir alors que le nouveau tarde à advenir, il est tentant de recourir à la figure de l’analogie pour tenter de dompter les monstres que Gramsci voyait surgir dans un tel clair-obscur.
C’est cette figure que mobilise le philosophe Michaël Foessel dans son dernier ouvrage Récidive 1938, dont l’ambition est de tester la proposition selon laquelle « les années 30 sont devant nous », devenue courante.
D'emblée, nous pensons tous connaître l’année 1938 : l’image commune retient que cette année est celle de la fin du Front populaire et du gouvernement Daladier ainsi que des accords de Munich. C’est une année qui marque un pas de plus dans l’inexorable avancée vers la guerre.
Or Michael Foessel s’est plongé dans l’année 1938 muni du voile d’ignorance de celui qui fait comme s’il ne connaissait pas la fin : à partir d’une lecture des articles de presse de l’époque, il s’est mis à la recherche, comme l’indique le titre du livre, d’une éventuelle « récidive » au double sens « juridique » (nous avons fauté de nouveau alors que nous étions prévenus) et « médical » (une maladie réapparaît sur un même corps après plusieurs années).
Après une introduction où l’auteur expose son propos et sa méthode et avant une conclusion où il tire un bilan de son exploration, le livre dessine en sept chapitres qui sont autant de « défaites » le portrait de cette année cruciale : défaite de Blum, défaite des partis, défaite de la République, défaire morale… Selon Michael Foessel, en 1938, la France avait d’ores-et-déjà renoncé à la démocratie : le Parlement ne se réunit plus, Daladier gouverne par décrets-lois et les élections à la Chambre ont été repoussées de deux ans en 1939. Selon Foessel, loin de témoigner de la faiblesse de la III° République face à des régimes comme celui de l’Allemagne et celui de l’Italie, 1938 marquerait le basculement de la France dans un régime empruntant aux futurs adversaire leurs thèmes, voire leurs méthodes.
Le bilan de la traversée est saisissant : « il existe entre 1938 et 2018 un rapport d’analogie dont il est urgent de prendre la mesure ». Michael Foessel reconnaît ainsi ne pas avoir été dépaysé en voyageant en 1938 : il y a retrouvé plusieurs ressemblances avec la période actuelle :
- d’abord, un même contexte historique, à savoir une même distance de dix années avec une crise systémique du capitalisme dont l’évocation est devenue rare ;
- ensuite, le même sentiment que « la fête est finie » : les politiques mises en œuvre en 1938 partent de l’idée qu’il faut remettre la France au travail après les largesses du Front populaire de même qu’aujourd’hui c’est l’Etat providence issu de l’après-guerre qui est remis en cause ;
- enfin, les mêmes obsessions politiques telles que le nombre de mesures sur l’immigration, l’assouplissement du droit du travail, la nécessité d’assurer l’équilibre des finances publiques et ce que Michael Foessel appelle un même « antiparlementarisme par le haut ».
En définitive, l’auteur estime que l’analogie réside en ce que la politique de Daladier faite d’assouplissement économique et de reprise en main autoritaire est aux régimes autoritaires qu’elle combat ce que les politiques néolibérales menées depuis plus d’une décennie en France sont au nationalisme autoritaire qui menace de venir dans nombre de pays européens. Michael Foessel précise évidemment qu’une analogie n’est pas une simple ressemblance mais une égalité des proportions, à savoir une identité de rapport entre des réalités hétérogènes. Rien ne permet donc d’affirmer selon lui que 2018 débouchera nécessairement sur un désastre équivalent à la deuxième guerre mondiale.
Un homme averti en vaut deux dit-on : voilà pourquoi il faut lire Récidive 1938.