Fiche technique
Format : Broché
Nb de pages : 644 pages
Poids : 985 g
Dimensions : 16cm X 23cm
ISBN : 978-2-251-44555-7
EAN : 9782251445557
Conspirations d'un solitaire
l'individualisme civique de Charles Péguy
Quatrième de couverture
Les combats de Péguy semblent bien contradictoires au lecteur d'aujourd'hui, comme ils le parurent souvent à ses contemporains : dreyfusard et socialiste anarchisant, il devint un patriote virulent puis un singulier chrétien des « profondeurs », confondant en sa personne des univers a priori fort incompatibles. Plutôt que d'opposer entre elles ces différentes appartenances, ou de croire trop vite que leur articulation ne pose aucun problème, il est bien plus fructueux de remarquer que c'est une même contradiction qui traverse de part en part toute son oeuvre, entre l'individu et la cité, entre la solitude et l'engagement, entre le repli « mystique » et l'élan « politique », termes qu'il manie d'une manière toute singulière, souvent réversible, et qui font tout le sel et l'actualité de cette oeuvre inclassable.
À la tête de ses Cahiers de la quinzaine, Péguy aimait à se rêver en « conspirateur » : ses textes, ses amitiés, ses confidences, lui permirent de « fomenter » dans un demi-jour la cité idéale à venir, sans jamais renoncer à une forme d'irrépressible individualisme. C'est cela qu'il appelait la « mystique » : dévoiler et cacher, dans un même geste, le secret individuel de toute politique, saper la cité en même temps qu'on cherche à la fonder. La politique de Péguy, si impérieuse, est aussi une antipolitique ; du XXe siècle, il aura porté à la fois le mal et le remède.
Je relis L'enfant d'Agrigente, je relis Le latin mystique, je relis Curtius, Auerbach, Pierre de Nolhac... : je les réunis en esprit dans une collection idéale qui satisfait à la conception que je me fais de l'essai. Le mot est à la mode et désigne un genre polymorphe : essais historiques, scientifiques, politiques, critiques ; tantôt l'exposé d'un point de vue brillant et instantané, proche du pamphlet, tantôt la quintessence de recherches patientes dans un champ disciplinaire donné. C'est plutôt ainsi que je vois la création d'une collection intitulée « Les Belles Lettres/essais ». Dans le paysage éditorial français, notre maison se distingue par la place qu'elle réserve à l'érudition, cette sévérité, qui est de fondation, est son honneur. Elle se distingue aussi par la place éminente donnée à des langues et à une culture qui sont de plus en plus l'apanage de spécialistes. Mais l'érudition n'est pas cuistrerie et il arrive que la spécialité partagée vienne enrichir d'un éclat irremplaçable la culture universelle. Seulement, il faut, pour cela, infuser à la philologie une âme, c'est-à-dire de l'amour - et un style. Ou, comme sur la monnaie d'Auguste, à la lenteur cuirassée du Crabe marier la légèreté du Papillon1. C'est le rôle de l'essai, essai en ce sens aussi que, relevant ce défi, on a mesuré la part de risque.
1. Revers de l'aureus frappé en 19 av. J.-C. par le triumvir monetalis M. Durmius. Notre image est empruntée aux Sententiose Imprese di monsignor Paolo Giovio et del signor Gabriel Symeoni, ridotte in rima per il detto Symeoni, Lyon, G. Rouille, 1561, p. 11 (« Festina lente »). Cf. W. Deonna, « The crab and the butterfly : a study in animal symbolism », JWCI, LXV (1954), p. 67 suiv. ; I. Calvino, Leçons américaines, Gallimard, 1989, Deuxième Conférence : « ... Bizarres l'une et l'autre, l'une et l'autre symétriques, ces deux formes animales établissent entre elles une harmonie inattendue ».