Dans l'intimité des cultures

L'ethnologie française a pendant longtemps été caractérisée par une sorte de répugnance à intégrer les études menées au sein d'une institution étrangère, l'école, de peur que celle-ci puisse modifier radicalement la donne des sociétés traditionnelles.

Pierre Erny n'a pas eu ces préventions à l'égard de l'institution scolaire ou de l'Eglise. En Afrique Centrale, dans le bassin du Congo, l'institution scolaire va devenir le maître d'oeuvre d'un nouveau monde, aussi bien dans la sphère du public que dans celle du privé ; elle va engendrer une nouvelle solidarité, celle des bancs. À l'instar d'autres institutions socialisatrices, l'école va se révéler puissante et génératrice d'un moi social, de nouvelles étapes dans la formation de la personnalité. Allier psychologie, ethnologie et sociologie est l'objectif que Pierre Erny poursuit dans ses écrits sur l'Afrique Centrale, sur la culture européenne, ses contes, ses légendes, ses symboles et ses rituels. Dans les quarante-deux ouvrages dont il est l'auteur (certains en collaboration), il illustre la païdologie qu'il a voulu créer dès ses premiers écrits. Après avoir étudié les cultures et les croyances populaires, il a poussé ses investigations sur ce qui fait l'intime dans l'homme ou dans les sociétés humaines.

Qu'est-ce que l'intime ? La réponse n'est pas aisée, et elle est loin d'être univoque. C'est pourquoi les collègues, les collaborateurs, les anciens étudiants de Pierre Erny ont souhaité aborder un large éventail de domaines, allant du totémisme australien à la transe des peuples afro-brésiliens. La sédentarisation des Pygmées de la grande forêt, les croyances au retour des ancêtres en pays bamiléké, les stades de l'enfance au bord de l'Oubangui, l'expérience de l'altérité sur les rives de l'Oyapok en Guyane, la prohibition de l'inceste à Nosy Be à Madagascar viennent illustrer ce qui reste quand tout autour de soi change. L'intime se niche aussi au coeur de la maison alsacienne, dans l'expérience religieuse de base, et même, comme l'écrivait Emile Durkheim, dans le consentement à la mort volontaire.