Fiche technique
Format : Broché
Nb de pages : 228 pages
Poids : 300 g
Dimensions : 14cm X 21cm
ISBN : 978-2-86231-267-5
EAN : 9782862312675
Quatrième de couverture
Un immense tapis de coquelicots se présenta inattendu, courant à perte de vue vers l'horizon haché par un ravin. Ses yeux avaient suivi comme dans une séquence cinématographique la palette de couleur fauve, presque au ras du sol, et c'est seulement quand son regard trouva la fracture du ravin qu'il reçut le choc de la masse gigantesque, pyramidale et absurde de l'Etna. Le volcan était si imposant, si nettement scandé et si minutieusement inscrit dans l'azur du ciel, avec son cratère central voilé de nuages, que Vanni ne comprenait pas comment il s'était imprimé en dernier dans sa rétine. C'était grandiose et écoeurant. Effrayant, d'une certaine façon.
Il le voyait comme un dieu descendu sur terre. Planté sur sa vaste base de lave, en juge, en justicier. En despote. Superbe, méprisant. Refusant toute identification, toute réduction à une échelle humaine. Pas de compromis, pas de ridicules comparaisons. Je suis et je demeure, au-delà de ton regard de petite fourmi, disait le volcan. Et cependant...
Etre fils de l'Etna, c'était monstrueux, c'était outrancier. Même pour un Sicilien, qui avait une conception cyclopéenne de la vie et portait en dot dès sa naissance la damnation d'un oeil unique, démesuré et terrifiant comme un cratère. De là, de ce vagin de l'absurde, venait la pâte qui l'avait pétri, modelé et projeté dans la fiction théâtrale qu'était sa vie. Il était fils de l'Etna, donc il ne pouvait en aucune manière se soustraire à cette contrainte existentielle. C'est pourquoi, il ne pouvait pas se soustraire non plus à la rancune ancestrale qui l'incitait à s'affronter aux dieux. Tout Sicilien naît en état de guerre.
Les détails de la scène atroce de la matinée s'étaient estompés comme ceux d'un cauchemar invraisemblable. Son inconscient se refusait obstinément à se laisser gâcher la journée par les brutalités de Bummulicchiu et de ses compères. Elle avait déjà le souci du comportement volatile de Lorenzo, pour penser à cette autre source éventuelle d'ennuis. « Je devais être vraiment saoule hier soir, se dit-elle, pour aller dormir à Mutandona ».
Pour l'instant, elle avait le feu aux fesses. Et ce n'était pas seulement la chaleur du siège. Tous ses pores papillotaient. Elle savait bien ce que son corps réclamait depuis une semaine, et dont elle avait été dépossédée traîtreusement par son amant. La rage l'emporta, et ses mains se raidirent sur le volant. Jamais l'idée de cocufier Lorenzo ne lui avait traversé l'esprit. C'était une chose simplement inconcevable, dangereuse, et après tout jusque là non désirée. Mais cette manière cavalière avec laquelle il l'avait liquidée à la cérémonie de remise du prix lui parut éloquente, c'était tout à fait dans le style de Lorenzo. Si ce n'était pas un adieu, cela lui ressemblait beaucoup. Ne lui avait-il pas fait comprendre qu'elle pouvait coucher avec le poète, sans crainte ? « Ce que tu veux » avait-il dit. Il l'avait donc licenciée.
Elle revit les yeux du Grand Prix, étincelants sous les lunettes, braqués sur ses seins. Non, il avait l'air d'un putanier je m'en-foutiste, le poète. Il avait empoché le chèque de dix millions avec une indifférence olympienne, tandis qu'il la détaillait avec une catholique ferveur religieuse. Non, elle ne comprenait rien et il était parfaitement inutile de supputer quoi que ce soit.