Danuta Le Hénaff

Quand on compte bientôt quatre-vingt-huit printemps, qu'on se nomme Le Hénaff en même temps qu'on se prénomme Danuta, qu'on roule les « r » comme personne et qu'en plus on parle de l'ancienne Autriche-Hongrie aussi bien que de Madagascar, c'est qu'il y a quelque chose d'insolite là-dessous...

Avec cela, le jour où je rencontrai Danuta Le Hénaff, ce ne fut ni sur les bords de la Vistule ni sur une route de Tamatave, mais dans son atelier de céramiste réputée, à Larmor près de Lorient, juste en face d'une jolie plage de Bretagne... Que s'était-il donc passé ?

Il s'était passé que les guerres, qui chamboulent tous les destins même les mieux tracés, n'ont pas permis à Danuta Drobniakowna, pourtant née dans la haute bourgeoisie polonaise, de suivre celui qu'elle croyait sien. Contrainte d'abandonner sa jeunesse et ses ambitions aux conflits politiques qui embrasent son pays, elle prend un jour une décision rare encore chez une femme : tout ce que les événements lui refusent, elle va le provoquer, de sa vie brisée elle va en faire plusieurs. Ces vies-là, qui seront trois, la jeune fille qui s'en va de Pologne en avril 1946 en sautant quasi dans le vide est cependant très loin de les imaginer. Partie de chez elle avec presque rien, sauf sa rage de vivre et une adresse quelque part à Paris, Danuta ne se retourne pas. Il faut fuir, il lui faut absolument quitter ce pays qui est le sien, mais qui ne lui appartient plus. C'est l'exode, c'est le grand départ, celui qui rompt les amarres et décide du reste, ce sont les trois vies de Danuta Le Hénaff qui commencent...