Des poissons plein la tête

«Quand le démon de la pêche m'a saisi, je me suis mis à tenir des notes. À cette époque, la science halieutique me fascinait. J'étais certain de coucher sur mes carnets à spirales des secrets extraordinaires. Le temps passa et les carnets s'empilèrent. Alors, je découvris qu'au fil des années, les considérations techniques avaient battu en retraite... subrepticement...

Un soir d'hiver, je mesurai le caractère vain de mon entreprise. Finalement, les seules notes exploitables concernaient le jour où le coucou avait chanté pour la première fois, la localisation d'un verger abandonné rempli de précieuses pommes rouges... je perçus alors que mes textes avaient été contaminés. J'avais produit des notes halieutiques déviantes où la doctrine de la pêche avait cédé devant de fâcheuses impressions, où pointaient le désir, la nostalgie, l'orgueil, l'amour de l'eau et des vallées. C'en était trop. Soit je balançais le tout au fond d'une malle poussiéreuse, soit je m'essayais à l'écriture... Alors j'ai puisé dans mes notes, et je me suis arrêté, après des mois de souffrance, à bout d'histoires... Exsangue, comme un vieux saumon après l'amour.»