Entre inscriptions et prescriptions

V.Y. Mudimbe est incontournable dans le contexte du renouvellement de la réflexion sur les relations interculturelles, notamment les rapports entre l'Afrique et l'Occident. Mais son oeuvre intrigue, et suscite doutes et interrogations. Loin des routines et des stéréotypes de lecture, une dizaine de spécialistes analysent la coprésence en tension de la multiplicité des héritages et le dépassement d'antagonismes qui s'expriment à travers l'ambivalence et les contradictions apparentes. Comme les modulations en musique, éléments, voix, idéologies, réalités socio-historiques s'opposent, se croisent, se complètent par contraste ou symétrie. Ils se font écho intérieurement, mais demeurent indissociables. Grâce à cette logique fusionnelle et dialectique qui commande les paradoxes, une signification supérieure jaillit du choc des contraires, et l'éternel se dégage d'un phénomène transitoire.

Chez Mudimbe, l'Afrique et l'Occident, le sacré et le profane, l'histoire et le mythe, la croyance et l'agnosticisme, la gnose et l'épistémè, la raison et la sensibilité, le passé et le présent, le christianisme et le paganisme, la foi et l'athéisme, la tradition et la modernité ne se séparent pas pour s'opposer, mais se confrontent et s'élucident réciproquement. Un je subjectif s'invente dans ces textes, déchiffre la rumeur sociale, la réalité mêlée du monde et les signes que celui-ci produit. Démontant l'archéologie des ruses et des pièges des discours, Mudimbe dénude les mécanismes des rapports de pouvoir entre les cultures, démonte illusions et mensonges, et montre que le savoir est une idéologie et l'idéologie un savoir véritable. Revisité, c'est un autre visage du penseur qui se dessine, visage de Protée certes, mais plus riche, plus complexe.