Essai sur la formation du paysage rural français

La diversité et l'incessant renouvellement des créations humaines nous font, par contraste, attacher du prix à ce qui, dans ces créations, offre un caractère de permanence.

Tels sont, en France, les traits fondamentaux de l'aménagement des surfaces cultivées. Nous les retrouvons, pour l'essentiel, peu différents du tableau qu'en donnent, dans la seconde moitié du XVIII^e siècle, les physiocrates et leurs disciples.

A ces émules de l'économiste Quesnay, le sol de notre pays apparaît partagé entre deux types de paysage rural : l'un, qui est propre aux régions situées au nord de la Loire moyenne, dispose ses habitations en villages fortement agglomérés ; ses surfaces arables, faites d'un assemblage de champs exempts de clôtures, forment de vastes aires découvertes, circonscrites, à de plus ou moins grandes distances, par des massifs forestiers compacts aux bords bien nets. L'autre, où l'habitat rural se disperse en hameaux et en maisons isolées, où les champs sont généralement enclos et plus encombrés par la diffusion de la végétation arborescente, caractérise les pays de l'Ouest et nos provinces méridionales, où il prédomine si largement qu'on a pu le définir comme l'expression d'une «économie rurale du Sud».

Cette opposition n'est pas un effet nécessaire de la constitution physique du sol. Elle est un fait purement humain et qui remonte à des temps antérieurs à l'histoire. Quand survint la révolution agricole du XIX^e siècle, qui fut marquée par la substitution des cultures fourragères aux anciennes jachères, rien n'avait encore porté atteinte à ce primitif contraste, dont nous observons encore aujourd'hui de frappantes survivances dans le mode de répartition des habitations rurales et dans l'aspect des terroirs cultivés eux-mêmes.

Mais ces faits ne sont pas de ceux qui se perçoivent immédiatement. Il nous faut, pour en prendre conscience, faire abstraction des vues rapprochées et des aspects de détail qui, dans tout paysage, fixent et retiennent d'abord l'attention. Percevoir et comprendre exigent ici un effort de généralisation que j'ai voulu faciliter en publiant mon Essai sur la formation du paysage rural français.

mai 1981 Roger Dion