Grandjouan

« C'est vous qui dessinerez mon tombeau... vous me le promettez, Jules... ? » La nuit était tombée. C'était dans les premières années du siècle, au pied d'un temple de l'Égypte ancienne. Elle lui avait demandé cela, avec son petit accent qu'il aimait tant (Jioules...). Il avait promis. Et c'était pour honorer cette promesse qu'il était là, en cette fin de 1956, à San Francisco.

San Francisco, la ville natale d'Isadora... Isadora Duncan, la plus grande danseuse de son temps, qui avait révolutionné la chorégraphie, qui avait été son amie et l'inspiratrice de toute une partie de sa vie artistique. Il l'avait suivie à travers le monde : Égypte, Venise, Berlin, Saint-Pétersbourg...

En contemplant le Pacifique, depuis cette corniche extrême de l'Occident, c'était toute son existence qu'il repassait en revue : Isadora, bien sûr, mais aussi ses combats du début du siècle, la création de la CGT, « L'Assiette au Beurre », son exil à Darmstadt, son oeuvre artistique, le Montparnasse des années vingt, la Révolution, son périple dans la Russie des Soviets... Et puis Nantes, sa ville, port de tous les rêves et de tous les départs, à laquelle il était resté passionnément attaché...

Il ne se doutait pas qu'à l'âge où il arrivait, le roman de sa vie n'était pas terminé. Dans cette Californie qui préfigurait la fin du XX^e siècle, il allait connaître à nouveau la passion des idées censées changer le monde... Il allait connaître la passion tout court...

À partir de cette dernière aventure du dessinateur et peintre Jules Grandjouan (1875-1968), Philippe Hervouët nous offre le récit entièrement véridique d'une existence peu commune. Elle commence dans la misère ouvrière de la fin du siècle dernier, se déroule dans de nombreux pays et s'achève dans le tourbillon de mai 68. La vie passionnée d'un artiste et surtout d'un personnage haut en couleurs, généreux, excessif, emporté, un être dérangeant, aux diverses facettes et aux multiples contradictions. Un être décidément infréquentable.