Hubert Aquin ou La révolution impossible

15 mars 1977, geste ultime ; dénouement d'une tragédie commencée le jour du Krach boursier de Wall Street, le 24 octobre 1929 ; l'ère aquinienne s'achève. Hubert Aquin, auteur anonyme en France mais romancier reconnu au Québec, laisse derrière lui une œuvre baroque, hermétique et décadente.

Contestant l'aliénation dont se sentent victimes les Québécois, Aquin décide d'être démesuré aussi bien dans ses actes que dans sa création. Son style baroque s'affirme comme un rempart contre le syndrome du colonisé. Aquin développe une esthétique de l'excès qui inverse la tendance conformiste du roman québécois traditionnel. Le romancier fait de la provocation son exercice de style favori, choisissant de n'éluder aucun des thèmes qui hantent son imaginaire : le suicide, le sexe, le crime. Non content de blasphémer, Aquin entend choquer par son style. Les phrases spiralées de Prochain épisode, Trou de mémoire, L'antiphonaire et Neige noire déroutent un lecteur pris dans un singulier vertige de signes et de codes culturels. Dans un Québec littéraire en plein renouvellement, la mythologie rassurante de Maria Chapdeleine a fait long feu. La littérature québécoise recherche des «phares». Aquin ne craint pas d'incarner cette figure symbolique. Toute son œuvre romanesque est inspirée par cette insatiable désir de fasciner. Pourtant, en dépit de leur orgueil «décadent», les romans d'Aquin incarnent avant tout le paradoxe aquinien. L'excès revendiqué masque l'humilité profonde de l'imaginaire. Aquin, le provocateur impénitent, joue avec ses insolences afin de travestir ses aveux. La recherche d'une écriture «nietzschéenne» baroque et inclassable s'offre comme l'aura de l'intimité. Tel est sans doute le véritable défi du roman aquinien mais aussi sa révolte impossible, celle qui le mène à l'inachèvement.