J'te raconte pas...

À l'heure où certains s'insurgent contre la malbouffe, pourquoi ne pas régler son compte à la maljactance? Nul besoin, en effet, d'aller chercher les perles de cancres pour le constater, la langue française subit un jeu de massacre.

Entre le snobisme branché qui a fait du mot ringard (tige de fer servant à remuer les tisons dans une cheminée) le symbole des gens ayant une mode de retard, les antiphrases entendues cent fois par jour comme s'éclater ou j'te raconte pas; et le politiquement correct par la magie duquel les vagabonds sont transformés en Sans Domicile Fixe et les instituteurs en professeurs des écoles, le discours devient une collection de lieux communs, de non-sens, de formules creuses, d'expressions toutes faites auxquels on fait dire n'importe quoi. Et ce n'est pas l'écrit qui rachètera l'oral, entre SMS sans sujet ni verbe et e-mails sans queue ni tête.

Certes, les mots ont toujours évolué, changé de sens et perdu de vue leur origine. Marco Wolf en convient, refusant de se poser en défenseur d'une langue mythique, immuable et sacrée. Mais cette évolution s'est prodigieusement accélérée. Car si les mots prenaient autrefois tout leur temps pour changer de forme ou de contenu, leur transformation reflétait le plus souvent une évolution sociale ou économique. Aujourd'hui grâce aux médias, il suffit de quelques jours pour imposer une expression à la mode, sans aucun rapport avec le monde réel.