L'imparfait du subjectif

Je vécus les humiliantes séances de douches collectives du jeudi rythmées par un pion prédateur, petit besogneux carcéral par nécessité alimentaire, dépourvu d'amabilité et de délicatesse. On se découvrait aux deux sens du terme, le rouge au front et le savon à la main.

- Dans trois minutes, j'éteins ! Les dortoirs ou plutôt les «dormitoriums», alignements déprimants de pieux identiques, pareils à ceux des hôpitaux au temps d'Ambroise Paré, couchettes spartiates sous les draps desquelles, retenant leurs larmes, les plus désespérés s'enfonçaient chaque soir dans l'intermittence du sommeil, qui aidait à supporter jusqu'au lendemain les peines du cœur et la brutalité des autres.

Le livre de Jean-Paul Choisy a reveillé en moi bien des tiraillements de ma propre enfance, tel un gros lot de photographies jaunies, cadenassées dans leur malle au grenier - comme pour retarder l'ultime envol de la prime jeunesse - mais que l'on hésite surtout à ouvrir pour ne pas voir combien le Temps a su nous rattraper....

Il y a chez l'auteur, très tôt, ce regard inquiet sur les êtres et les choses, de la traumatisante cours de récréation à «l'intolérance et l'agressivité naturelles de petits monstres» au «dôme de la poste d'Alger dont je craignais qu'il me tombe sur la tête». A la lecture de cet ouvrage écrit à fleur de cœur, je retrouve moi aussi ces «bleus de l'âme» pour reprendre Alain Braconnier et, le livre refermé, je mesure combien il en demeure encore, peut-être aussi nombreux que les osselets de nos jeux d'enfants de jadis, sous le préau....

Jean-Louis Lorenzo

Radio France