L'inspiration des Grecs

Le peuple grec se distingua par sa stupeur devant l'Etranger, ou encore d'être habité par l'Autre, qui n'était pas simplement le Barbare, mais qui, comme Dionysos, était l'étranger du dedans, l'insensé, absense humaine dans l'homme. Or cet Autre inhumain, il ne saurait être question de le reconnaître, comme on le fait d'un semblable : on ne se rapporte à lui qu'en prenant le risque d'une expérience singulière, jamais imitable ni reproductible, qui ne reconnaît pas ce qu'elle voit, et à laquelle on donne le nom d'inspiration. L'inspiration est l'expérience d'une extériorité qu'on ne peut pas identifier, et dont la proximité est l'unique et irrationnel fondement de la création.

En quoi consiste cette épreuve et création, et comment s'assurer de son sérieux, ou de ce qu'elle n'est pas vaine, si ce qui la justifie se dérobe ? Les philosophes grecs ont-ils occulté, plutôt que prolongé, l'énigme posée par le sphinx - la muette présence du monde, de cet Autre qui comme le destin nous devance et nous regarde, ne signifiant rien mais irrévocable, silence de catastrophe où se résout la tragédie - c'est-à-dire l'énigme qui aussi bien que du destin est l'unique et impossible soutien de la création, et qui inquiéta la Grèce comme les miroirs de Borges inquiètent les couloirs ?