La Désaffection

C'est un peu le degré zéro de l'existence que décrit Jean Vuilleumier dans La Désaffection. Si personne n'était à l'écoute de Léna, de Jenny, de Madame Maurice, de Pascal, existeraient-ils ? Mais qui existe, sans écoute de l'autre, sans conscience de l'autre, des autres ? On est ici, comme dans Le Pensionnaire et tous les autres romans de Vuilleumier, au coeur d'une problématique que le romancier genevois ressasse comme on remue le couteau dans une plaie. Une plaie qui pourrait bien être celle de notre monde contemporain.

Un de ces immeubles, qu'on appelle buildings, comme pour mieux les déshumaniser, pour décor, avec dans ses tréfonds non pas une cave mais un parking souterrain dans lequel les rockers font régner la terreur. Et là, délaissée pour un temps. Léna fait connaissance avec la solitude, sa solitude et celle des autres ; une veuve octogénaire, un jeune paraplégique, une barmaid rencontrée au Centre des Loisirs.

A travers quelques bribes de destins égarés dans la cité, n'importe quelle cité d'aujourd'hui, le romancier reconstitue comme un puzzle à l'envers, partant du tout vers le détail, la vie de tant de nos contemporains. Une manière de tragédie étouffée et écartelée, comme un sanglot venu de partout et nulle part qui résonnerait dans une cage en verre.

Par ce roman où chaque sentiment compte, jusqu'au plus ténu, parce que porteur d'une humanité en décomposition, le départ de Léna sera ressenti par ses compagnons de solitude comme une trahison, une désaffection, autre forme de la trahison. Quelque chose comme un dérapage dans sa vie l'aura conduite à comprendre, à partager, à aimer et maintenant qu'Yves est rentré, pourra-t-elle redevenir comme avant ? Et si oui, que deviendront Jenny. Pascal et Madame Maurice ?

Le roman des solitudes de la vie contemporaine.