La porte ouverte

L'express s'essoufflait dans la campagne brabançonne que la nuit commençait à noyer. Pays borné dont les confins, avec le soir, étaient devenus des sources violettes se déversant sur les champs. Fred se morfondait dans la brise chaude qui, par la vitre baissée, lui léchait le visage. Et ce train qui n'avançait pas, prenait plaisir à le confiner dans une sensation de demi-mort !

Cette demi-mort le tenait sous sa serre depuis Alexandrie, depuis la lecture de la lettre aux phrases équivoques. Le lendemain, Leïla l'avait trouvé désemparé, la figure creusée par une nuit sans sommeil. Elle avait tenté de le détourner de ses inquiétudes, qu'elle devinait sans les connaître ; mais ses accents, d'habitude souverains, s'étaient avérés sans force. Le sortilège était rompu, un réveil pénible sortait Fred d'un songe pour le rendre à sa réalité de cauchemar, à l'effroyable emprise de son mythe. Damiette, Port-Saïd, qu'importait ! Il lui fallait rentrer en Belgique très vite, lui qui, trois mois plus tôt, s'en enfuyait avec un soulagement de bagnard libéré. Voilà qu'à présent tout son être se tendait vers cette même femme qu'il avait quittée « pour la quitter », pour se soustraire à son décevant amour... Il avait bien tenté de se raisonner, d'imposer son silence à ses pressentiments, mais tout avait été inutile ; la voix de son angoisse tuait celle de la raison. Alors il avait tout oublié, son allégresse pendant l'exode, ses pérégrinations sous un ciel de beauté, ses hymnes au dieu Soleil, sa hantise des forêts. Une seule chose avait compté : revoir France, s'assurer qu'avec sa tendresse l'image de son rêve ne reculait pas définitivement vers l'impossible.