Fiche technique
Format : Broché
Nb de pages : 449 pages
Poids : 620 g
Dimensions : 16cm X 22cm
ISBN : 978-2-86231-261-3
EAN : 9782862312613
La poupée russe
Quatrième de couverture
Plus tard, après l'ouverture de l'usine à vélos et la construction derrière la rivière du quartier de blocs d'immeubles, elle découvrit que les garçons de la rue avaient commencé à jouer avec de nouveaux calots, en métal, lourds et brillants. Ils s'appelaient les uns les autres dehors en criant « Viens jouer aux roulements », mais le mot roulements la faisait penser aux Allemands camions bâchés mitraillettes uniformes casques tanks bottes et films de guerre projetés d'un camion sur le mur du foyer culturel. Alors que les calots étaient des choses rondes qui auraient pu être faites d'une coque et se nommer coquettes. « Viens jouer aux coquettes ! » sonnait bien, mais le mot coquette l'embrouillait quand elle entendait la compagne de son grand-père (elle disait parfois « Et après Leontina a fait la grande coquette en Amérique », et elle comprenait alors que ce n'était pas bien). Elle voulait dire autre chose, mais Leontina ne voyait pas quoi, parce que tout le monde disait caquette, et cela lui paraissait normal, car elle pouvait ainsi penser tranquillement à coucou et à cabosse, deux mots qu'elle connaissait bien.
Le détour qu'elle faisait d'un mot à un autre mot proche n'était pas si grand et elle continuait de réfléchir au coq qui rassemblait derrière lui tout un tas d'autres mots ronds, gonflés comme des cloques : contourné, cajole, coquard, corbillon, corbeau, cordon, corridor, jaunets, mogos, dodo, doillon, moellons, chignon. D'où connaissait-elle tous ces mots ?
La Poupée russe est résolument roumaine, car il faut voir dans le titre, initialement en latin (Pupa russa), l'annonce d'une véritable typologie romanesque de la femme. Ce qui prévaut c'est le principe des poupées russes, invoqué en présence d'une relation de type « objet à l'intérieur d'un objet similaire », métaphore que d'aucuns rapprochent de celle de l'oignon et que l'auteur ne manque pas de relever lui-même.
En premier lieu, le roman retrace la vie de sa protagoniste Leontina Guran, femme fatale, sportive de haut niveau, depuis les années soixante, jusqu'à ses quarante ans lors de la Révolution roumaine de 1989. S'agit-il d'une courtisane communiste ? Est-elle un jouet entre des mains machistes ou plutôt, une femme libre qui tend naturellement à accomplir son destin ? Son parcours est intimement lié à celui de la Roumanie communiste dans un roman à la fois nouveau, érotique, social et historique, d'une âpre douceur.
Des « notes de l'auteur », constituent un témoignage direct de l'auteur sur ses intentions « textualistes » : dynamiter les procédés littéraires préexistants par l'usage de changements rapides de narrateurs ou de discours, de documents bruts, de manifestations d'oralité. Leontina Guran se rapproche d'Emma Bovary par l'identification que l'auteur laisse transparaître ainsi ouvertement.
Note de l'auteur
Je suis dans la cuisine et je pense à ce roman. Le soleil joue sur la table dans un verre d'eau. Ma peau s'étend dans l'indifférence, sur mes mains et sur mes jambes enveloppées elles aussi dans cette peau sentant l'homme. L'homme qui est en moi se tait, attend, il sent son sexe recroquevillé entre ses cuisses. Dans ses chaussons, dix doigts humides aux ongles épais. Le coeur bat normalement, l'adrénaline est en légère augmentation. Aujourd'hui, je ne me sens pas prêt à écrire, toute tentative est sapée par ma sensibilité trop virile. Je devrais essayer un exercice de rééducation. Et tout à coup, je découvre que je devrais imaginer quelque chose qui ne relève pas de ma nature ni de mon odeur d'homme ni de mes phéromones implacables et alors je me dis qu'il faudrait que je commence juste avec un cheveu, avec la sensation tiède d'un long cheveu collé à ta joue, qui entre dans ta bouche avec le morceau de pain car tu es en train de manger.