Le chasseur de têtes

C'est à Toronto, à la fin du millénaire, que Timothy Findley met en scène un trio improbable : Lilah Kemp, ex-bibliothécaire, spirite, déclarée schizophrène pour sa tendance à parler avec les mous et les personnages des livres, et deux psychiatres, Charles Marlow et Rupert Kurtz, lequel dirige le prestigieux Institut Parkin de recherche psychiatrique. La clef est donnée ; tout commence le jour où Lilah laisse échapper Kurtz de la page 181 du roman de Joseph Conrad, Au coeur des ténèbres. Elle essaie en vain de le rappeler mais le voit s'éloigner dans la ville.

Ainsi, à la suite de Francis F. Coppola, qui dans Apocalypse Now faisait renaître Kurtz sous les traits d'un officier de l'armée américaine pris d'une folie sanguinaire pendant la guerre du Viêt-nam, Timothy Findley recrée l'un des plus grands mythes littéraires, celui de l'aventurier maléfique, l'incarnation du Mal qui, au fin fond de la forêt, domine tout un peuple d'esclaves par le seul pouvoir de sa voix.

Dertière Kurtz évoluent de fascinants seconds rôles inspirés des grands classiques : Gatsby le magnifique, Emma Bovary, Pierre Lapin, les trois soeurs de Tchekhov... Dans ce monde fou où les héroïnes romantiques vendent leurs charmes, où les hommes d'affaires créent des clubs pour abuser d'adolescents à peine pubères, où les psychiatres résolvent les problèmes de leurs patients en fonction de leur propre intérêt, où le ciel est empli des nuées jaunes que répandent les Escadrons M pour exterminer les oiseaux, Lilah, dans l'ombre, se lance dans une quête désespérée du Marlow qui saura contrer Kurtz, le chasseur de têtes.

Fable morale, roman d'anticipation, thriller haletant. Le Chasseur de têtes, qui mêle l'angoisse au merveilleux, la comédie à la réflexion grave, est l'oeuvre magistrale d'un visionnaire.

Traduit de l'anglais par Nésida Layer