Le sentiment de la beauté

« Si nos pensées spontanées devaient suivre harmonieusement le cours de la nature, si nos attentes étaient alors constamment satisfaites, notre sens du mystère disparaîtrait. Nous serions incapables de nous demander pourquoi le monde existe, ou pourquoi il possède une telle nature [...] Cette satisfaction que notre raison doit à l'harmonie de notre nature et de notre expérience, est déjà partiellement réalisée. C'est notre sentiment du beau qui en est la réalisation. Lorsque nos sens et notre imagination trouvent ce qu'ils désiraient avec ardeur, lorsque le monde se construit ou façonne l'esprit de telle manière que la correspondance entre eux est parfaite, alors la perception est plaisir, et l'existence n'a nul besoin de justification. »

Le sentiment de la beauté est issu d'un cours que Santayana [1863-1952] prononça à Harvard entre 1892 et 1895. Pour lui, la prééminence du beau tient à ce qu'il est supposé illuminer la vie tout entière et en ce qu'il transcende les partages que nous avons coutume de lui associer. Les conséquences que cela entraîne pour les convictions autour desquelles notre philosophie de l'art s'est édifiée, qu'il s'agisse du plaisir esthétique, de son rapport à nos intérêts, à la moralité et à la vie, ou tout simplement du beau lui-même, sont au coeur de ses réflexions et de l'exposé qu'il en offre.