Légendes artésiennes

Jean Ratel, historien du merveilleux et de la singularité, ne pratique pas pour autant le culte exclusif de l'insolite : écumeur de contes et de chroniques, mais aussi homme d'archives et de références chronologiques, il pense, comme Victor Hugo, que «si l'histoire a sa vérité, la légende a la sienne» et il évoque le passé de son pays dans tout son foisonnement et toute sa diversité. Aussi ses Légendes artésiennes nous permettent-elles de redécouvrir bien des événements et des personnages majeurs, à la fois dans leur perspective mythique et dans leur authenticité historique. Ce «conteur qui se découvre encore comme un révélateur» donne ici toute la mesure de son talent à travers une quinzaine de récits (légendes et biographies) qui, outre leur intérêt narratif, nous conduisent dans le «jardin extraordinaire» de l'Artois, de la Flandre et du Boulonnais. Ainsi, nous apprenons que Godefroy de Bouillon, né à Baisy près de Génappe, l'organisateur et le commandant en chef de la deuxième croisade, proclamé roi de Jérusalem, fut aussi le chevalier au cygne (écusson énigmatique), dont la légende s'empara dès le début du XII^e siècle ; que Raoul de Créquy, compagnon du roi Louis en Orient, eut une destinée si aventureuse, placée sous le double signe de la guerre et de l'amour, qu'aujourd'hui encore, dans la région de Fressin, on commémore chaque année ses exploits à travers un magnifique spectacle de son et lumière ; ou que Marie d'Olhain, dame de Ferfay, eut un différend célèbre, au XVI^e siècle, avec le curé d'Ames qu'elle jugeait son inférieur, du fait de sa «haulteur et grandeur»...

Passant du drame à la comédie, l'auteur évoque aussi le terrible duc d'Esquerdes, qui participa au sac de Liège, infligea une répression sanglante aux habitants de Saint-Omer entrés en rébellion contre Charles le Téméraire et trahit ce dernier pour embrasser la cause de Louis XI ; il retrace l'odyssée de la comtesse de Marles, sauvée, sous la Terreur, par le subterfuge d'un gendarme, relate l'arrestation mouvementée (en 1792) de Philippe Joseph Lamoral de Gennevières, en pleine nuit, par les gardes du district, d'abord repoussés par les défenseurs du lieu, galope sur les traces de Marie-Joseph Cardon héros des guerres de la Révolution et de l'Empire et de Ferdinand-Joseph Bailly, soldat intrépide et bon vivant, qui après avoir tant de fois bravé la mort, mourut à Béthune, dans son lit, à l'âge de 58 ans... Sans cesse, sous la plume de Jean Ratel, la tragédie côtoie la truculence, le pittoresque les drames ineffaçables et la réalité la légende.