Les fêlures sauvages

«Le poème est à la recherche d'une immédiateté: non pas celle qui est saisie dans l'apparence de la lumière, non pas celle qui dégagerait la quintessence du monde, mais celle qui du néant le plus absolu fait jaillir la présence la plus absolue. Le sens le plus primitif, le plus atavique de l'être, est celui de cette présence. Les autres sont déjà voués à l'apparence que seul le créateur soumet au sens premier.

La poésie aspire à rendre à ce sens premier sa puissance originelle, délivrée des couches successives des réalités humaines et animales qui l'ensevelissent, à l'éveiller de son hibernation dans l'abîme de la conscience du vide qui mène l'humanité à une solitude toujours plus désespérée dans l'univers.

Le poète ne peut vivre cette quête qu'à son propre détriment, car la réalité et l'être qui s'y soumet ont pour eux le temps, l'espace, l'action, tandis qu'il n'a pour lui qu'un indicible entêtement de la première étincelle de vie. Dès la petite enfance il étreint la «réalité rugueuse» dans le silence de soi. Il lui faut suffisamment de corps et d'âme pour vivre l'inébranlable innocence qui est une force plus rugueuse encore que cette réalité: un corps aussi coriace que l'écorce d'un tronc d'arbre, et une âme aussi diaphane que les feuilles qu'il porte.

Il y a quelque chose de plus absolu que la lumière à elle seule ne peut ni libérer, ni faire vivre, c'est ce sens de la présence que le créateur ressent très réellement, très rugueusement, dans sa réalité d'être humain.»