Les propos d'un Normand de 1913

L'automne ramène ses couleurs, ses brouillards, ses crépuscules de midi. En même temps les mêmes étoiles reviennent; la Grande Ourse se relève un peu à l'est après s'être couchée sur l'horizon. L'autre, soir je voyais Orion déjà haut; les saisons sont écrites dans le ciel des étoiles comme dans nos feuillages. Et cette liaison si remarquable entre la hauteur du soleil et les constellations visibles ferait le premier étonnement de l'enfant, s'il la remarquait. Partant de là, il aurait à reconstituer les mouvements véritables du soleil et de la terre, de manière à rendre compte de ces apparences. Ainsi il débrouillerait ses idées d'après des observations bien claires et à sa portée, justement comme les hommes l'ont fait dans leur longue histoire. Mais je voudrais réunir les cent pédagogues brevetés qui ont charge de faire enseigner ces choses. Y en a-t-il un qui les sache?

Je reviens à ce ciel d'automne, pour y remarquer non plus la constance, mais le changement. D'abord nous avons Jupiter, qui, il est vrai, se couche bien vite; mais l'an dernier, dans la même saison; il nous avait quittés depuis un mois à peu près. Et il faut dire qu'à l'heure où je voyais Orion, Jupiter était sous l'horizon depuis trois heures peut-être.

A l'Est, changements plus visibles. D'abord dans le Taureau, au-dessous d'Aldébaran, qui est lui-même au-dessous des Pléiades, voici une étoile bleue de première grandeur qui n'y était point l'an passé; ce n'est pas une étoile; c'est la planète Saturne, qui a voyagé un peu vers l'Est depuis l'autre automne. Et puis voici Mars, en arrière de plus de deux heures, dans les Gémeaux, au nord d'Orion. J'ai déjà vu Mars avec Saturne, mais plus près l'un de l'autre; c'était à l'automne aussi; mais non pas au dernier automne; Mars met deux ans à peu près à faire son tour; deux ans ont passé. Je vois même que Mars tourne en moins de deux ans, puisqu'il est plus à l'est qu'il n'était. Ainsi le ciel compte les années par groupes. Avant que je puisse revoir Mars dans les mêmes étoiles, deux ans passeront. Avant que Jupiter soit de nouveau dans le Sagittaire comme il fut cet été, onze ans passeront. Pour Saturne, trente-trois. Les cadres de l'histoire sont prêts. Mais qu'est-ce que les hommes y mettront?

La Guerre, ou la Justice? Quelles passions? Quels crimes? Ou bien quelle alliance? Quelle coopération? Quel droit nouveau sous ces étoiles? Tout dépend des regards qu'ils porteront à ces brillantes figures du ciel. Car c'est de là que descend l'incorruptible géométrie, seul remède aux passions. Aussi je dis, comme le prêtre, mais en comprenant ce que je dis: «Mes amis regardes là haut».

Alain.