Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary

Avant de mourir, à 41 ans, Guy Hocquenghem tira un coup de pistolet dans la messe des reniements. Il fut un des premiers à nous signifier que derrière la reptation des « repentis » du gauchisme vers le sommet de la pyramide, il n'y avait pas méprise, mais accomplissement : la connivence avec le pouvoir les avait révélés davantage qu'elle les avait trahis. On sait désormais de quel prix - restructurations sauvages, argent fou, dithyrambe des patrons - fut payé leur parcours que Serge July résuma un jour en trois mots : « Tout m'a profité. »

Écrit voilà plus de vingt ans, ce livre ne porte guère de ride. L'auteur nous parle déjà d'Alain Finkieikraut, de BHL, d'André Glucksmann, de Jack Lang,de Daniel Cohn-Bendit. Et déjà, il nous en dit l'essentiel. Appartenant à leur très encombrante « génération » - un mot, écrivait-il, qui « me répugne d'instinct, bloc coagulé de déceptions et de copinages » - il aurait souhaité qu'elle fût moins compromise, en bloc, par les cabotinages moralistes de la petite cohorte qui parasita journaux et « débats ».

Peu soucieux de bienséance, de suavité bourgeoise, propres à ceux qui monopolisent les instruments de la violence sociale, Guy Hocquenghem a usé de la truculence, de la démesure. Il a opposé sa clameur à la torpeur des temps de défaite. Son livre éclaire le versant intellectuel de l'ère des restaurations. Les forces sociales qui la pilotaient il y a plus de vingt ans tiennent encore fermement la barre. Nous ne sommes donc pas au bout de nos peines. Les repentis ont pris de l'âge et la société a vieilli avec eux. De nouveaux retournements vont survenir, favorisés par la soif de respectabilité et par le cabotinage médiatique. Lire Guy Hocquenghem nous arme pour y répliquer avec ceux qui savent désormais où ils mènent.
Serge Halimi