Lettres à José-Maria de Heredia

Leconte de Lisle a quarante-cinq ans lorsqu'il rencontre José-Maria de Heredia, qui n'a encore que vingt et un ans, et qui deviendra son plus fidèle disciple. Par-delà ce quart de siècle qui les sépare, tout les rapproche : ils sont tous les deux créoles, l'un de la Réunion et l'autre de Cuba ; tous deux ont été si éblouis par la splendeur de leur île natale qu'ils se sentent désormais comme en exil en France ; tous deux se font de la poésie une idée précise, élevée et pure. La correspondance amicale et fraternelle qui commence aussitôt après leur première rencontre ne s'achèvera qu'à la mort de Leconte de Lisle ; aucun autre poète n'aura eu avec lui un échange à la fois si continu, si intime et si littéraire.

Les soixante-neuf lettres de Leconte de Lisle à José-Maria de Heredia, qui s'échelonnent entre 1863 et 1894, sont ici publiées pour la première fois intégralement. Leur intérêt est capital, tant pour la connaissance de leurs auteurs que pour l'histoire du mouvement parnassien et, plus généralement, pour celle de la seconde moitié du XIX^e siècle. Atelier d'écriture poétique, reportage à vif sur la Commune de Paris, plaisant jeu de massacre contre les contemporains les plus illustres, de François Coppée à Stéphane Mallarmé, ces lettres à un jeune poète, qui touchent, sans rien de compassé, à l'essence même de la poésie, forment un chef-d'oeuvre d'ironie maîtrisée et de désespoir alerte. Nettement moins hiératique qu'on le représente encore souvent, l'auteur des Poèmes barbares y apparaît bien tel que le voyait Catulle Mendès : «un ardent, un violent, un excessif, - quelque chose comme un volcan couvert de glace, qui se plaît pourtant aux éruptions incendiaires !»