Fiche technique
Format : Broché
Nb de pages : 1360 pages
Poids : 1800 g
Dimensions : 15cm X 22cm
ISBN : 978-2-7453-3181-6
EAN : 9782745331816
Lettres cabalistiques
Quatrième de couverture
Les Lettres cabalistiques (1737-1738) forment le deuxième volet de la vaste trilogie philosophique conçue par Jean-Baptiste de Boyer, marquis d'Argens (1703-1771), dans le sillage de Pierre Bayle, sous le titre Correspondance philosophique, historique et critique, publiée en Hollande entre 1736 et 1740. L'ouvrage s'inscrit dans la tradition de la fiction épistolaire orientale, mise au goût du jour par les célèbres Lettres persanes de Montesquieu, et comporte près de six cents lettres en tout, qui furent d'abord publiées selon la formule - presque encore inédite à l'époque - de la diffusion journalistique, répandues deux fois par semaine, avant d'être ensuite rassemblées pour former des éditions séparées, jamais rééditées depuis le XVIIIe siècle.
Les Lettres juives (1736-1737) - un des grands succès éditoriaux du siècle des Lumières - qui précèdent les Lettres cabalistiques ; et les Lettres chinoises (1739-1740) qui les suivent, accueillent une série de protagonistes imaginaires engagés dans un commerce épistolaire, auquel leur qualité d'étrangers par rapport aux pays qu'ils visitent confère la capacité de distanciation leur permettant de formuler - souvent sur le mode satirique - des appréciations et des jugements sur les hommes et les institutions civiles ou religieuses.
Mais, par rapport aux deux autres volets de la trilogie, la particularité des Lettres cabalistiques consiste dans l'intervention d'« esprits élémentaires » inspirés des personnages inventés par l'abbé Montfaucon de Villars (1635-1673) dans Le Comte de Gabalis, ou entretiens sur les sciences secrètes (1670), aimable fantaisie littéraire démystificatrice et moqueuse, arc-boutée sur le dialogue d'idées. Si l'objectif des Lettres juives et des Lettres chinoises visait la mise en place d'une sorte de « géographie philosophique » confrontant deux Europe ; celle des ténèbres, de la superstition et de l'ignorance - dont le symbole est l'Espagne, vilipendée par tous les protagonistes - et celle des Lumières, représentée par la Hollande, celui des Lettres cabalistiques est de remonter aux sources en évoquant les civilisations et les systèmes de pensée du passé, et de faire succéder l'enquête historique à l'enquête géographique. De là l'activisme frétillant d'épistoliers aux noms pittoresques (Abukibak, Oromasis, Astaroth) - diables, gnomes, sylphes, ondins - capables de se déplacer non seulement dans l'espace, mais aussi dans le temps, par ailleurs gardiens des âmes dans un lieu qui ressemble singulièrement à un purgatoire peuplé, comme dans les Dialogues des morts de Lucien, de quantité de personnalités célèbres, parmi lesquelles un nombre impressionnant de papes et d'ecclésiastiques de tous bords. D'où l'insertion, dans la trame narrative, de dialogues mettant en scène des couples improbables : Jean Guignard - ce jésuite précepteur de Jean Châtel, qui avait frappé Henri IV d'un coup de couteau en décembre 1594 - et le bandit Cartouche ; l'Arétin et le libidineux casuiste Thomas Sanchez ; Pierre Jurieu et Bernard de Clairvaux ; Ignace de Loyola et Luther, Spinoza et le jésuite Juan de Mariana, apologiste du régicide, etc.
Toutefois, au-delà de la mise en scène pittoresque et ironique de toutes les formes d'extravagance théologique ou de déviation spirituelle auxquelles s'attaque d'Argens, en habit de superstitionis destructor, se donne à lire une contestation majeure des défaillances de l'esprit humain, auxquelles n'échappent que les adeptes de la « bonne philosophie » - celle des Locke, Newton et Gassendi - c'est-à-dire les penseurs déistes qui ont su se libérer des entraves imposées à la liberté de pensée.
Au total, l'édition des Lettres cabalistiques permettra au lecteur de mieux comprendre la machine de guerre mise en place par un « journaliste-philosophe », sceptique confirmé, adepte inconditionnel de la « philosophie du bon sens », parfois tenté par les « Lumières radicales » ; mais surtout architecte d'un monument d'érudition imposant, appuyé sur un formidable réseau référentiel, dans lequel courent et s'entrecroisent, à tous les niveaux - textes, notes, références, insertion de préfaces et d'avertissements multiples - une multitude de filiations formant un système complexe d'échos, de rappels et de redites hérités de la grande tradition du libertinage érudit.