Lettres d'outre-océan ou Le Canada ancien au prisme de sa correspondance

« Je me proposais de découvrir (ainsi que je l'ai dit dans ces Mémoires et dans plusieurs de mes ouvrages) le passage au nord-ouest de l'Amérique »
(Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe)

Vivre une époque ancienne en direct, comme si on y était : quel historien, ou tout simplement quel homme, n'a pas rêvé d'un tel prodige ? Quand les synthèses les plus fines ne nous font parvenir qu'un écho incomplet, et comme amorti, des séquences de vies, même les plus turbulentes...

De toutes les catégories d'écrits, les lettres sont celle qui permet le plus de s'en approcher. Et les lettres authentiques, celles qui forment les liasses les plus importantes, offrent un intérêt primordial : car elles permettent une plongée au coeur des sensations, des émotions et des sentiments, qui composent la trame de la conscience humaine, sources de ces micro-histoires qui sont les piliers de la grande Histoire.

Aussi Bernard Emont et l'équipe du GRECA ont-ils mis la lettre au premier rang des genres à étudier, au titre des écrits du Canada ancien : comme lieu de témoignages précieux vivants et variés, sur l'épopée mal connue de la Nouvelle-France, mais aussi comme source d'un art raffiné, que le XVII^ème et surtout le XVIII^ème siècles portaient en métropole, en même temps, à un rare degré de perfection.

Des premiers enthousiasmes des lettres de Lescarbot, au fracas des armes du front dans celles de Bourlamaque et de Bougainville, en passant par les comptes rendus d'exploration, les réflexions ou la satire sociales venant du coeur de la colonie, dans celles de La Hontan, ou sur fond plus intimiste, chez Marie de l'Incarnation et Elisabeth Bégon : c'est toute la complexité d'une nouvelle civilisation, en voie d'émergence, qui transparaît, et l'infinie souplesse de l'art épistolaire qui est mise en oeuvre-sans parler des lettres factices, à la rhétorique étudiée, cadre narratif commode ou moyen d'une pédagogie sans effort...