Mon âme en sabots

Le brouillard... Ô citadins, c'est pour vous cette brume froide trouée d'ampoules clignotantes, cette « purée de pois », ces haillons de nuées, cet effilochage humide de vapeurs...

Je vous parle, moi, de mousselines, de réseaux, de tulles, de voiles, de diaphanes dentelles bleues ou grises, impalpables étoffes de brumes tramées de fils d'eau, emperlées de poudre d'eau ! Rien qu'à sortir sur le pas de la porte par une aube d'automne, quelque leste main de sylphe m'en jetait une écharpe au visage ; pâleur translucide, résistance élastique de fils de la Vierge, je sentais sur mes yeux et sur ma bouche glisser ou s'épaissir ce bleu masque de vapeurs.

En hiver, il arrivait souvent que le brouillard se matérialisât tout à fait sous le gel et nous avions alors le givre. L'air s'emplissait d'une poussière de glace craquante comme du verre pilé, et je voyais les arbres se cristalliser sous mes yeux, ramilles par ramilles. D'immaculées efflorescences adhéraient à tout, aiguilles brillantes, fuseaux minuscules de glace agglomérés tout à coup en plumules neigeuses. La moindre touffe sèche de graminées devenait je ne sais quel brillant édifice de verre, quelle girandole de Venise cassante et sonore, tintante sous les doigts.