Mort des héros modernes

Roman

«Ils arrivèrent trop tard pour le carnaval. Quand ils descendirent du vaporetto "Piazzale Roma-Lido", avec la masse des Vénitiens se hâtant à leur travail, une neige drue tombait à lourds flocons sur la place Saint-Marc. Il n'y avait pas dans la foule le moindre masque ni déguisement...

Le jeune Victor était déçu. Dans le train déjà, ce séduisant Latino-américain s'était mis à redouter la neige et le froid lorsqu'au matin, relevant le store du compartiment, il avait découvert, toute blanche, l'Italie du Nord. Vérone et Padoue étaient passées, fugitives, dans une brume duveteuse, et la dernière à apparaître avait été l'Adriatique. Ses flots évoquaient l'eau savonneuse que le tuyau de caoutchouc d'une machine à laver déverse dans l'évier après le premier lavage.

Retrouvant la terre ferme, ils s'étaient sentis déprimés et la ligne de coke que chacun d'eux s'était offert dans le compartiment, alors que le train était en gare de Venise et que les passagers normaux l'avaient quitté depuis longtemps, ne leur était d'aucun secours : ils avaient entièrement dépensé le supplément de vigueur qu'elle leur avait procuré, durant le trajet en vaporetto. Pourvue de son propre générateur d'énergie, miss Evens était bien sûr demeurée sur le pont glacé, battu par la neige et le vent. Bon gré, mal gré, ses deux compagnons avaient dû rester avec elle, bien que leurs vêtements fussent manifestement inadaptés aux conditions météorologiques.»