Naven ou le Donner à voir

Lors d'une mission en 1929 chez les Iatmul en Nouvelle-Guinée, Gregory Bateson assiste à plusieurs scènes étranges : Un homme bizarrement accoutré, avance lentement dans le village. Vêtu d'une jupe dépenaillée, il fait mine d'être une mère qui cherche son enfant. "C'est moi, s'exclame-t-il, qui l'ai mis au monde, je l'ai porté dans mon ventre !" Le garçon ou la fille ainsi désignés restent silencieux et immobiles, et pleurent de honte. Des femmes se réunissent sur la place du village. A tour de rôle, elles assument l'attitude menaçante et vantarde des chasseurs de tête. Elles lancent un défi à la fois sexuel et belliqueux au jeune guerrier qui a tué pour la première fois : pourra-t-il au milieu de la dérision des femmes, percer de sa lance le piège à poisson ? De même, au début des années 70, une équipe de l'université de Bâle revient de chez les Iatmul et rapporte le récit d'une autre scène virtuelle : Un garçonnet prend pour la première fois le gouvernail d'une pirogue à moteur. Tout fier, il voit au loin sa mère sur la berge du fleuve. En réponse à son regard, elle tire la langue et ouvre grand les yeux, à l'image d'une ancêtre cannibale. Elle lui adresse ensuite une danse de séduction incestueuse.

Chez les Iatmul de Nouvelle-Guinée, toutes ces actions sont appelées des "donner à voir", des naven, étranges scènes de travestissement. Aussi bien fondé sur les observations de Bateson que sur des témoignages récents, ce livre cherche à démontrer la cohérence secrète qui fait de ces séquences d'actions un seul rituel. Il associe ainsi la réflexion sur l'histoire de l'anthropologie à la recherche théorique et à l'analyse détaillée d'un cas qui, dans son énigmatique simplicité, échappe toujours aux classifications des anthropologues.