Paysans du Danube

Né en 1936, dans cet entre-deux guerres où la Roumanie ne devient enfin elle-même que pour être à nouveau amputée, vingt ans plus tard à peine, par le trop fameux pacte germano-soviétique, Marin Sorescu commence à écrire dans les années soixante, à la sortie du tunnel stalinien que les acteurs de la pérestroïka roumaine avant la lettre baptiseront eux-mêmes, savoureux euphémisme, «l'obsédante décennie». Il est, depuis lors, la personnalité littéraire la plus douée de sa génération : poète, bien sûr, dramaturge fécond et puissant, romancier aussi, critique subtil, essayiste plein de verve, conteur satirique, il cultive tous les genres avec une aisance égale. Mais c'est avec Paysant du Danube que son originalité prend toute sa poignante authenticité. Dans cette chronique d'un village roumain d'hier et d'aujourd'hui, il met sa voix, son amour et sa science des mots au service de ces paysans dont il est issu. Il fait sien leur parler millénaire pour l'arracher à tout jamais aux griffes menaçantes de l'éphémère. Sauvant ainsi leur langue, il sauve leur mémoire ; leurs rites, leurs superstitions, leurs amours et leurs haines, leurs grandeurs émouvantes et leurs faiblesses dérisoires. Il dit l'irrésistible et lente érosion du Temps comme celle, brutale et impitoyable, d'une Histoire plus ridicule qu'odieuse, qui plonge les villages roumains dans un «silence sépulcral» pour aider à la «transformation révolutionnaire de l'agriculture». Il faut prêter l'oreille à cette voix latine venue de l'Est.