Pensée de l'expérience, travail de l'expérimentation au sein des surréalismes et des avant-gardes en Europe

On lira peut-être un fort paradoxe, pour ne pas dire une provocation, dans l'intitulé de ce livre. Qu'est-ce que «l'expérience» aurait à faire avec ce creuset de toutes les improvisations, de toutes les inventions, de toutes les folies géniales que les surréalistes ont de tout temps mises en oeuvre? Or, ce terme n'est pas absent du champ sémantique surréaliste: en 1933, par exemple, Man Ray l'emploie avec faveur contre le terme d'expérimentation. Pourtant, la métaphore technique, et par là la notion d'expérimentation, joue ailleurs en un sens favorable. C'est qu'il y a un «sérieux» de l'expérimentation surréaliste, dont la visée scientifique prétend généraliser les découvertes. Et, qu'à l'évidence, la pratique de l'expérimentation n'est pas alternative de la pensée de l'expérience: ainsi, dans leur sens surréaliste, le couple expérience / expérimentation désigne, non pas des concepts opposés, mais plutôt des conduites complémentaires où la codification très élaborée des stratégies, dans l'expérimentation, sert de tremplin pour l'exploration «sans rivages» d'une expérience de mieux-vivre sous la lumière d'un désir re-passionné.

On constatera que, singulièrement, ce volume, ouvert à des approches fort diversifiées, finit par mettre au premier plan de ses préoccupations l'explication, chez André Breton le poète, de la notion même d'opération de pensée.

La collection critique Pleine Marge s'attache à évaluer les bords, les seuils par où les modernités et les diverses «avant-gardes» historiques se distinguent du mouvement surréaliste, les unes et les autres ne se présentant pas en droit fil. Cette intention croise la nécessité, théorique, d'interroger le surréalisme par des codes qui ne soient pas les siens propres, mais sous des angles méthodologiques divers: anthropologique, psychanalytique, non moins qu'esthétique et poéticien.