Pierre et Sophie

On croit souvent que les livres sont une maison pour les personnages, une maison qu'on aimerait partager, plus réelle ou plus émouvante que celle de son père ou de sa mère. La maison de Sophie a brûlé. Après l'incendie, la rue est vide. Et c'est sur ce vide que se construit le livre. La pierre, le bois, le verre ou même le béton y sont remplacés par cette voix qui ne vient d'aucun corps et peut tous les montrer, comme s'ils avaient toujours existé. Et tout ce que vit Sophie peut être dit, comme si cela était vrai, devenir la vérité. Il est très rare que les habitants du livre regardent au dehors; tout au plus se serrent-ils un peu pour laisser s'installer parmi eux le visiteur qui tourne les pages. Mais imaginez, dans la plaine des mots, un morceau de verre ou de bois, dont l'incendie ne serait pas venu à bout, et que Pierre, ou Sophie, se penche pour le ramasser. Qu'un personnage, dont l'existence est comme condensée entre la première et la dernière page d'un livre, prisonnière, se penche sur ce morceau oublié du réel. Il suffit d'un tout petit morceau.

Le Préau des collines.