Rayon Essais
Premier journalisme d'Alain : les années d'apprentissage : 1900-1906

Fiche technique

Format : Broché
Nb de pages : XXVII-501 pages
Poids : 400 g
Dimensions : 14cm X 22cm
EAN : 9782905753182

Premier journalisme d'Alain

les années d'apprentissage
1900-1906


Paru le
Broché XXVII-501 pages
édition Jean-Marie Allaire, Robert Bourgne et Pierre Zachary
avec la collaboration de Georges Pascal

Quatrième de couverture

Il est facile de ne voir dans le Féminisme qu'une occasion de se divertir et de faire (...) C'est même un amusement qui peut durer très longtemps La femme étudiante a égayé, il y a des années déjà, les spectateurs des Revues. Après cela on a ri de la femme-médecin, de la femme-avocat, et de la femme-témoin. Au train dont vont les choses, on rira bientôt aussi, sans doute, du mariage «nouveau jeu», qui mettra le salaire de la femme, c'est-à-dire, souvent le pain des enfants, à l'abri de la cupidité du mari. Cette source de plaisanterie épuisée, il restera encore la femme-maire, (voyez quelle occasion de spirituels jeux de mots), la femme-député, la femme-soldat. Nous ne sommes pas au bout, et la vieille gaieté française n'est pas près de s'éteindre faute d'aliment.

Mais je me défie un peu de la vieille gaieté Française. Je ne sais quel aristocrate, à la chevelure galamment poudrée, et au nez barbouillé de tabac d'Espagne, disait qu'il n'aimait pas les Républicains parce que «ce sont pédants et songe-creux qui ont oublié le rire». Il y a du vrai là-dedans, et le vrai Républicain ne rit guère.

C'est bon pour des esclaves ivres, de chanter et de danser en oubliant la veille, et en oubliant le lendemain; et Mazarin disait bien, en parlant d'un peuple qui ne pensait pas assez à ses droits: «ils chantent, donc ils paieront».

Le citoyen d'une République n'a pas le temps de rire. Il doit réfléchir: sa liberté est à ce prix. Il doit chercher, dans toute question, ce qui intéresse l'avenir et le salut de la République, et discuter là-dessus, en toute sincérité et en toute franchise, en se gardant surtout de l'ironie, soeur de la mauvaise foi.

Et s'il ne voit pas tout d'abord en quoi une question comme le Féminisme intéresse l'avenir de la République, qu'il se demande - la méthode est bonne et peut servir en bien des cas - en quoi la situation de la Femme intéresse les ennemis de la République.

Il apercevra tout de suite que la femme, par son ignorance et par la condition servile où nous la maintenons imprudemment, est l'auxiliaire la plus puissante de ceux qui veulent asservir les hommes. C'est parce qu'ils agissent sur l'esprit de la femme, enveloppé de ténèbres, sur sa volonté débile, sur sa sensibilité indisciplinée et capricieuse, que les éternels ennemis de nos libertés ont encore aujourd'hui tant d'argent, tant de puissance et tant d'audace.

On peut le dire: dans la mesure où la femme sait conduire et séduire l'homme, les prêtres dirigent à leur gré les affaires de la République.

Et c'est pourquoi il ne faut pas rire du Féminisme; c'est pourquoi il faut écouter avec attention et déférence les revendications des femmes, plus instruites et plus courageuses que les autres, qui réclament pour elles toutes, une place au soleil, au soleil de la Justice et de la Raison.

Ne nous y trompons pas. La femme demande à être, ou à pouvoir être, avocat, médecin, professeur, notaire, greffier, receveur des finances, conservateur des hypothèques, conseiller municipal, maire, député, que sais-je encore?

Mais elle demande avant tout et surtout à être instruite, c'est-à-dire à être quelqu'un; à vivre de la vie virile, à penser, à vouloir, à agir par elle-même, à développer librement ses aptitudes et sa nature, toutes ses aptitudes et toute sa nature.

Et si l'on considère que la femme a beaucoup d'influence sur les opinions et les actes de l'homme; si l'on considère surtout que la femme est la première éducatrice de l'enfant, et que le futur éducatrice de l'enfant, et que le futur citoyen reçoit, à l'âge où commence l'éducation, les opinions et les idées de sa mère, on pourra conclure que la condition de la liberté réelle d'un peuple, c'est le degré d'instruction et d'émancipation de la femme.

Pour que la République soit définitivement assise dans les âmes, il faut que la Raison, et la Raison seule, règne sur les épouses et sur les mères.

Alain.

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