Route par ailleurs

Si les textes de Montaigne sont cohérents en vertu de leurs structures d'essai, commentaires intégrés contrôlant les investigations, reste à rendre compte de leurs échappées sur la «route par ailleurs», errances «à propos ou hors de propos, il n'importe».

Sont ici jalonnées et suivies de telles déviations, jusqu'au point où se profilent en perspective oblique des significations sous-jacentes, invisibles sur le trajet prévu et recomposant son parcours. Ces agencements à surprises, «nouveau langage» d'une pensée sans lisières, vont de pair avec le remodelage des concepts - «humaine condition», différence, identité, «mouvement» de la vie - requis par la recherche. Ils esquissent des configurations problématiques à défaut de synthèses, sur les lois et les pouvoirs, l'aliénation, la possibilité de témoignage. Ils permettent d'atteindre les parages incertains de l'«ailleurs», jeux, ombres, nostalgies, désirs - en toute lucidité.

Ce mode d'enquête philosophique n'a pas été compris du temps des Essais, leurs mésaventures textuelles en témoignent. Le comprendrons-nous un jour ?