Soixante-quinze mètres

Altitude 75

Ça y est, je l'ai fait. J'ai fait le pas. J'ai mis un pied devant l'autre et me voici dans les airs. J'avoue qu'avant de me laisser tomber, lorsque j'étais encore debout au bord de la falaise, les talons sur la terre ferme, les orteils dans le vide, j'ai regardé en bas et j'ai eu le vertige. J'ai failli renoncer. Mais ça va mieux. Beaucoup mieux, même. J'ai eu le trac, c'est tout.

Je suis maintenant confortablement allongé à plat ventre sur l'éther. Mes bras en croix se détendent. Mes mains, tout à l'heure moites, se sèchent au vent. Un frémissement parcourt mes jambes. L'appréhension cède la place à l'euphorie. Je profite de la hauteur pour admirer la vue ; ça ne durera pas.

Luc Stablinski est un artiste émérite, lucide et heureux. Fils d'une mère qui a sacrifié sa carrière pour l'élever seule, mari de Marie, infirmière compréhensive arborant une galaxie de taches de rousseur, et fils non reconnu d'un père célèbre, il ne goûte guère au conformisme. Luc s'est construit entre Paris et Aix-en-Provence mais c'est à Calais qu'il se trouve, là où il a rencontré Abraham, un réfugié érythréen, là où le lecteur passera un peu moins de quatre secondes avec lui. Plus de temps qu'il n'en faut pour raconter une vie. Suffisamment de temps aussi pour marquer les esprits avec un happening unique, une oeuvre testamentaire. Car c'est bien de cela dont il s'agit. Un suicide ? Vous rigolez ? N'oubliez pas, Luc Stablinski est un artiste émérite, lucide et heureux.