Voltaire et Henri IV

On retient de Voltaire une pensée qui a bouleversé son siècle, un sourire ironique qui a fait le tour du monde, un regard sur l'histoire qui devait contribuer au triomphe des lumières et de la philosophie, des combats pour la justice, la tolérance... Bien d'autres titres encore consacrant, aujourd'hui comme hier, ce vaste génie créatif en des traits inoubliables. Mais Voltaire poète ? Voltaire auteur de la Henriade (1728) et de sa sœur aînée la Ligue (dès 1723), qui lui servit plus d'une fois de sauf-conduit auprès des Cours et des grands ? Ce poème épique éclairé qui, au sortir de la Régence, rassurait et même affermissait le grand goût classique tout en suggérant, en esquissant l'esprit des lumières ? Un modèle pour le despotisme éclairé : le roi de Prusse Frédéric II, emphatique, jugeait l'œuvre supérieure à l'Iliade et à l'Enéide. Les éditions nombreuses de ce grand succès littéraire attestent aussi l'enthousiasme des pédagogues ainsi que celui de la bourgeoisie jusqu'au cœur du XIX^e siècle.

On a certes bien oublié ce titre de gloire précoce de Voltaire, poète classique et courtisan. Et pourtant, dans les nombreuses représentations associées de deux grands hommes que célèbre durablement la France du XVIII^e siècle, tout est rassemblé pour que deux mythes nationaux s'épanouissent et rayonnent avec une élégante et féconde réciprocité. A cela nous devons des images qui, elles, ne sont pas toutes disparues. L'Henri IV des manuels, des dessinateurs et des peintres, du temps du rococo jusqu'à l'art troubadour, et du romantisme jusqu'aux imagiers du XX^e siècle, le héros qui nourrit encore la production éditoriale historique ou romanesque doit tant au patriarche des penseurs et des historiens de la tolérance ! Ce que l'écriture et le succès ont fait, l'image l'a vite assimilé. Mieux que cela : l'image et les artistes ont réussi là où les modes littéraires se sont épuisées : ils ont traduit dans l'imaginaire collectif une version voltairienne de la royale humanité du Vert Galant où souffle, à coup sûr, l'esprit d'un homme universel.