Rencontre avec Peter Szendy, accompagné de Mathieu Potte-Bonneville pour "Pouvoirs de la lecture - De Platon au livre électronique" aux éditions La Découverte
Lorsque je lis, une voix en moi m’intime de lire (« lis ! »), tandis
qu’une autre s’exécute, prêtant sa voix à celle du texte, comme le
faisaient les antiques esclaves lecteurs que l’on rencontre notamment
chez Platon. Lire, c’est habiter cette scène qui, même lorsqu’elle est
intériorisée dans une lecture apparemment silencieuse, reste plurielle :
elle est le lieu de rapports de pouvoir, de domination, d’obéissance,
bref, de toute une micropolitique de la distribution des voix.
L’écoute
attentive de la polyphonie vocale inhérente à la lecture conduit vers
ses zones sombres : là où, par exemple chez Sade ou dans des
jurisprudences récentes, elle peut devenir un exercice violent, punitif.
Mais en prêtant ainsi l’oreille aux rapports conflictuels des voix
lisant en nous, on est aussi conduit à revisiter l’idée, si galvaudée
depuis les Lumières, selon laquelle lire libère. Les zones sombres de la
lecture sont ses zones grises : là où lectrices et lecteurs, en faisant
l’épreuve des pouvoirs qui s’affrontent dans leur for intérieur,
s’inventent, deviennent autres. Aujourd’hui plus que jamais, à l’ère de
l’hypertexte, lire, c’est faire l’expérience des puissances et des
vitesses qui nous traversent et trament notre devenir.
Cette
archéologie du lire dialogue avec nombre de théories de la lecture, de
Hobbes à de Certeau en passant par Benjamin, Heidegger, Lacan ou
Blanchot. Mais elle s’attache aussi à ausculter, d’aussi près que
possible, de fascinantes scènes de lecture orchestrées par Valéry,
Calvino ou Krasznahorkai.